Le territoire de Nyiragongo, comme dans plusieurs milieux ruraux en République Démocratique du Congo les femmes brillent par leur absence dans la prise des responsabilités. Le cas le plus explicatif reste leur faible poids politique en termes de représentativité. Cette situation sévit depuis bien longtemps et serait expliquée par certaines cultures qui désavantagent la femme.
Esther Aksanti est une dame d’une cinquante qui a vécu presque toute sa vie à Rusayu, un groupement de Nyiragongo au Nord Kivu. Pour elle, la femme n’a pas droit de prendre la parole ni de défendre une idée là où il y a des hommes. Elle témoigne : » Depuis ma naissance, je sais que c’est l’homme qui dirige, peu importe comment il le fait, mais tant que c’est un homme ca passe. C’est notre culture qui nous le dicte. Quand une femme veut s’égaler à l’homme, c’est la base même du déséquilibre. L’homme est crée pour diriger, la femme pour exécuter, d’ailleurs c’est ce que nous demande notre religion », explique-t-elle
Comme Aksanti, plusieurs femmes naissent, grandissent et meurent dans ce carcan. Celles qui tentent de sortir sont soit traitées de rebelles soit d’acculturées. Suite à cette pression, certaines finissent par abandonner leurs rêves de peur d’être rejetée par leur communauté. « Je voulais être forte comme la reine Elizabeth d’Angleterre, j’aimais bien son histoire quand j’étais encore à l’école. Je me souviens en quatrième année des humanités quand tout a changé. Nous avons eu une enseignante qui m’a laissée croire que je n’y arriverais pas parce que les femmes africaines ne peuvent pas diriger là où sont les hommes. Là j’ai commencé à perdre espoir jusqu’en sixième. Avant même l’obtention de mon diplôme d’Etat, je suis tombée enceinte et j’ai tout laissé tomber« , raconte Mwamini Habyambere, une femme au foyer, mère de 10 enfants.
Faible représentativité des femmes
Cette conception culturelle joue négativement sur la part des femmes dans les juridictions politiques. Elles se sentent faibles et incapables de porter la voix d’une masse ou de défendre une idée malgré qu’elles soient capables. Lucien Birongo, sociologue, révèle que cette culture toxique à l’épanouissement de la femme reste le plus grand facteur de la sous-estimation des femmes et cela, elles l’acquièrent dès le bas âge. » On vit dans une société empoisonnée par cette illusion du primat masculin. Nous naissons, la société nous éduque ainsi et cela devient notre identité. La société et sa culture qui devraient évoluer avec le temps, se voient malheureusement coincées par cette sauvegarde des acquis des aïeux qui malheureusement pèsent sur les femmes. », s’exclame le sociologue Lucien Birongo.
Les chiffres fournis par la Commission Electorale Nationale Indépendante sur les dossiers reçus en 2023 pour le compte du territoire de Nyiragongo précisent ce déséquilibre homme-femme. La conception culturelle reste pointée du doigt. Sur 110 dossiers de candidatures aux législatives nationales, on compte seulement 22 femmes. Pour les législatives provinciales, seules 41 femmes se sont présentées sur les 151 dossiers reçus par la commission.
Interrogé à ce sujet, Maitre Peter Abera renseigne que certaines cultures violent malheureusement la constitution et les lois du pays. En matière de parité, la loi reconnait la place de la femme et fait sa promotion. « La constitution de la République de 2006 à son article 14 soutient la parité dans tous les domaines. Elle dispose aussi de la représentativité équitable de la femme au sein des institutions. Et la loi No 22/029 du 29 Juin 2022 modifiant et complétant la loi No06/006 du 09 Mars 2006 portant organisation des élections à tous les niveaux à son article 13 dispose sur la représentativité des femmes. La liste qui aligne 50% des femmes dans une circonscription est exemptée du paiement du cautionnement. Ceci rentre encore dans le cadre de la loi No15/013 du 1er Aout 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité. 30% de représentativité des femmes dans les institutions dont 50% dans celles de prise des décisions » révèle Maitre Peter Abera.
Quelles conséquences sur terrain ?
Nos recherches nous ont prouvé que ces aspects culturels ont des répercussions sur le quota des femmes en politique, un président territorial d’un parti politique qui n’a pas voulu être cité a indiqué que même atteindre le seuil de 50% demandé par la loi n’a pas été possible. « Nous n’avons pas été à mesure d’avoir 50% des femmes sur nos listes pour bénéficier de l’exemption que prévoit la loi. Ce n’est pas que les femmes ne sont pas dans la société non, c’est seulement que pour elles la politique est une carrière qui se vit au masculin.« , a indiqué cet acteur politique.
Aminata Shabantu, une jeune d’environ la trentaine estime qu’elle ne peut jamais voter pour une femme, celle-ci avance ses raisons. « Une femme comme moi ne peut jamais bénéficier de mon vote. De nature nous sommes faible te lâche. Nous ne savons pas résister à la pression. C’est mieux de voter pour un homme. Qu’il échoue sa mission tant qu’il est un homme ce n’est pas si grave« . Cet avis semble être partagé par Héritier Muhindo, un électeur de Nyiragongo. Pour lui, c’est toujours l’homme qui doit être au sommet, la femme peut venir au second plan et cela ne dérange pas. « Je peux voter pour une femme à condition qu’elle ne soit pas en première position. D’habitude les femmes sont complexées si elles ont le dernier mot. Elles sont tentées de marcher sur les gens« , explique Héritier.
Cette conception joue également sur la performance de celles qui tentent leur chance en politique, pour certaines, ce n’est pas facile de convaincre cette communauté pour inverser la tendance. C’est comme Madame Salima Singira Siera, candidate députée provinciale dans la circonscription électorale de Nyiragongo. « C’est compliqué de tenir un discours dans une société aussi conservatrice comme Nyiragongo. Nous battons campagne, et, ce qui est étonnant, certaines femmes comme nous sont en avant pour nous décourager, malgré cela, nous essayons d’avancer et nous restons convaincue que la situation va s’améliorer.» témoigne la candidate Salima.
Actions sur terrain pour changer la donne
Face à cette situation, certaines organisations et personnalités publiques se sont impliquées dans la sensibilisation de la communauté pour conscientiser. Sinzabagira Kahombo Vasco, président de la nouvelle société civile territoriale de Nyiragongo pense que le chemin reste encore très long mais des étapes sont franchies. « Nous nous sommes inscrits dans une dynamique de sensibilisation des femmes. La culture constitue une barrière, ce n’est pas facile pour la société civile mais nous marquons des points « , explique Vasco.
C’est cette même approche qu’a prise Adèle Bazizane Maheshe, député provinciale élue de Nyiragongo. Avec sa fondation, la lutte est menée pour faire comprendre aux femmes qu’elles sont aussi éligibles. « Changer cette conception selon laquelle la femme ne peut pas, reste notre cheval de batail. Je suis une femme et j’ai été élue. Je fais des œuvres comme les hommes, voire même plus que certains. Je me sers de moi comme exemple pour expliquer aux jeunes filles et femmes qu’elles sont aussi à mesure de porter la voix. »
Le Collectif des Associations Féminines pour le Développement CAFED, une organisation non gouvernementale qui œuvre à Nyiragongo mène des actions pour rapprocher les femmes de la politique. Comme les autres qui œuvrent dans ce secteur, cette structure évoque la culture comme mur à l’émancipation de la femme. « Certaines femmes ont cette volonté de faire un pas, ce qui les bloque c’est la culture. A cela s’ajoute l’image qu’elles pensent avoir dans la communauté. Malgré cela, nous avons trouvé des exemples pour les faire comprendre. Nous espérons que ça marche malgré le temps que cela prendra » ; précise Madame Isabelle Pendeza BIKAYI, coordonnatrice du CAFED.
Comme il est dit, la conscientisation politique des femmes dans le territoire de Nyiragongo est une lutte qui a commencé, malgré les obstacles sur la voie, la roue tourne et, le vœu reste que rien ne l’arrête pour que la parité constitutionnellement reconnue soit effective ici.
Stoïcien Sky Gloire MAKWEMA LWEMBO
Journaliste à la Radio Télévision Communautaire Soleil Levant, RTCSL à Nyiragongo
C’est un article intéressant.