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Dans sa partie orientale, la République démocratique du Congo est secouée par plus de 30 années de conflits. C’est dans cette partie que sont nés et opèrent plusieurs groupes armés, naviguant sous coupe rwandaise. Parmi eux, le M23, qui est né de ses cendres après avoir été défait par les forces armées de la République démocratique du Congo, FARDC, il y a une dizaine d’années. Ce groupe affirme que les tutsi sont victimes de marginalisation et d’injustice. Les membres d’autres tribus refusent-ils de se marier aux tutsis ? Nous avons enquêté sur les mariages inter-ethniques se développant à Goma, illustrant les dynamiques sociales mais aussi créant un climat de frustrations dans le chef des enfants issus de ces mariages.

La rhétorique du M23 est basée sur la victimisation d’une ethnie : les tutsis, l’un des groupes parlant kinyarwanda. Pour cela, et ce depuis plusieurs années, pour revendiquer leur inclusion et intégration dans la société congolaise, le message passe souvent par les armes. Dans les rues de Goma, chef-lieu du Nord Kivu, les avis sont partagés quant au mariage inter-ethnique. Diplômée de la faculté des sciences de l’information et de la communication à l’université de Goma, Aline Kataliko, de l’ethnie Nande, dit qu’elle est prête à se marier avec un homme de n’importe quelle communauté à la seule condition que l’amour prime. Même se marier à un tutsi, cette Nande est prête à braver les pressions de sa famille par amour. 

Mariage d’amour ?

 » Moi je pense qu’il n’y a pas de problème de se marier avec une personne d’une autre culture ou de n’importe quelle origine. Parce que l’amour, c’est quelque chose qui nous arrive quand on s’y attend le moins« , dit Aline. 

S’agissant de la question de savoir si elle est prête à se marier à un homme de la communauté Tutsi, elle répond:  » Je peux me marier facilement avec un Tutsi et tout autre membre des communautés du Nord Kivu. Pour moi il n’y a pas vraiment de problèmes.« 

Elle dit être consciente des blocages qui peuvent venir des membres de sa famille, des amis ou des proches, mais elle dit être prête à défendre son partenaire au nom de l’amour. 

« Oui je suis consciente de ce blocage. Mais pour moi si c’est un amour vrai, si je ressens l’amour envers cette personne, je ne serai pas bloquée. Je vais défendre cet amour. Et, je pense que, si les parents ou les amis essayent de le retenir ou de désapprouver, moi je vais défendre cet amour parce qu’il s’agit de ma vie et non de la leur. En tout cas, pour moi, il n’y a pas de soucis à se marier avec quelqu’un qui est d’une autre culture. Le problème est que ta famille ne vous a pas bénis ou donnés un feu vert pour épouser celui que vous aimez « , ajoute Kataliko.

C’est également dans les rues de Goma que j’aborde Arsène, étudiant à l’institut supérieur des techniques appliquées. Arsène pense que lui doit à priori respecter le mot d’ordre de ses parents pour avoir la bénédiction. 

 » Mon opinion est que, parfois, l’union entre un Hunde et une Nande ou vice versa, ce sont des unions préétablies. Ça ne cause souvent pas de problèmes. Alors, par exemple quelqu’un qui a trop vécu à Goma, quand il veut épouser une fille d’une autre communauté, il est obligé d’informer sa famille qui est restée au village. Et, si la famille s’y oppose, il sera obligé de respecter la décision de sa famille. En tout cas pour ce mariage interethnique c’est beaucoup plus la décision de la famille qui est prise en compte « , explique-t-il.

Alors, pourquoi les parents s’imposent ? « Vous savez, notre région a subi beaucoup d’atrocités liées aux conflits interethniques. Alors, les parents regardent le profil de votre partenaire. s’il est de la communauté qui a eu de mésententes avec votre communauté, là, la famille est obligée de refuser. Et vous, vous n’avez qu’à obtempérer. Sinon, vous serez banni de la famille », argumente Arsène.

On comprend, dès lors, qu’Arsène ne peut pas envisager d’épouser une fille tutsie.

En tout cas, là c’est non. Parce que leur culture ne ressemble pas à la nôtre. Et même si j’insiste, mes parents ne peuvent en aucun cas l’accepter. J’aurai besoin de leur bénédiction pour mon couple. Le choix de mes parents est que j’épouse une Nande de ma communauté” 

Mariages inter-ethniques en renfort du vivre ensemble

Musicien gospel de l’église Kanisa la Mungu (Eglise de Dieu), Justin Katendere avoue ne pas s’intéresser à l’origine ni à l’ethnie d’une personne avant d’envisager une relation. Ce qui l’intéresse, c’est l’amour. 

 » Pour moi, il n’y a pas de problème. Parce que, dans l’amour, cet aspect de communauté ou origine de quelqu’un, ça ne compte pas. Par exemple, s’il m’arrive d’aimer une fille rwandaise, là c’est de ma propre volonté. Je ne peux pas demander à une autre personne son opinion « , dit-il, cash.

En argumentant, il dit avoir assisté à plusieurs unions de ce genre à Goma.  » Chaque vendredi et samedi, je vois des gens se marier. Et, parmi eux, je vois des couples Hutu-Tutsi, Hunde-Tutsi, Nande-Tutsi et consorts. Et pour moi, cela est une bonne chose parce que ça renforce notre vivre ensemble « , témoigne Justin.

Pour sa part, Gisèle Bagheni indique qu’elle voudrait bien avoir un mari Tutsi, mais elle craint pour sa progéniture. Parce que, dit-elle, les enfants issus d’un tel mariage subissent souvent la marginalisation que ça soit au quartier, dans la famille élargie, à l’église et même à l’école. Gisèle dit se sentir incapable de protéger ses enfants si elle se mariait à un homme Tutsi.

 » Souvent quand on choisit son conjoint, la question-là de tribu ne peut pas prendre le dessus parce que ce qui unit les gens d’abord c’est l’amour. Ce qui veut dire qu’avant de se renseigner sur la culture de quelqu’un, c’est d’abord l’amour qui compte. Le deuxième niveau aussi c’est la compatibilité. Vous pouvez tomber amoureux de quelqu’un, mais vous sentez que vous n’êtes pas compatibles. Là, inutile de forcer pour ne pas être malheureux ou malheureuse à la longue. Alors, si vous vous sentez compatibles, pourquoi ne pas vous marier ? Ce qui veut dire que, pour moi, la question de la communauté, des origines n’est pas un problème « , avance Gisèle. 

Concernant les Tutsis, mademoiselle Bagheni est réservée :  » Personnellement, je peux épouser un Shi, un Lega, un Hunde, un Nyanga, Mais, là où ça pose problème, c’est quand il s’agit de Hutu et Tutsi. Personnellement, je n’ai rien contre eux et là je souligne que c’est une question personnelle. Moi, quand je vis dans cette société, j’observe les enfants issus de ces genres de mariages. Et je trouve qu’ils subissent des préjugés, de marginalisation et moi je me trouve incapable de protéger mes enfants. Je peux les protéger au quartier, mais à l’école, à l’église, et ailleurs où je ne suis pas là, ils vont subir ça « 

Il ne faut pas s’y méprendre : Gisèle a, dans son entourage, des gens de toute tribu.  »  J’ai des amis de ces communautés-là. Ils sont les amis, mes collègues de service. Et, si moi, j’amène chez moi un fiancé de ces communautés-là, ça ne peut pas causer de problème. Chez moi, on va seulement chercher à savoir s’il est chrétien. D’ailleurs dans ma famille, il y a ceux-là qui ont marié et se sont mariés dans ces communautés-là. Et j’ai eu le temps d’observer comment les gens traitent ces enfants-là et c’est ça qui me retient « , révèle Bagheni.

Marginalisation : attention à la généralisation

C’est le témoignage d’Aminata Bwiruka. Âgée aujourd’hui d’une trentaine d’années, elle dit être née dans une famille de 5 enfants où le père est Nande et la mère une Tutsi. A la mort de leur mère, tous les enfants ont été obligés d’aller vivre avec les membres de la famille de leur papa à Butembo, une ville située à plus au moins 300 kilomètres au nord de Goma. Aminata dit avoir été témoin et en même temps victime d’un traitement de marginalisation venant des membres de famille de leur papa. 

« Ma mère est morte quand j’avais 13 ans. Après sa mort, on nous avait dispatché dans la famille du côté de papa. C’est là qu’on a commencé à passer des moments difficiles. Au début, on ne nous parlait pas en face. Ce sont parfois les voisins qui venaient nous raconter ce qu’on disait sur nous « , se remémore-t-elle. 

Avant de continuer : « Mais un jour, l’une de mes tantes m’avait directement dit qu’il était difficile de vivre avec les serpents (Tutsi). Ce même mot les voisins venaient nous dire que c’est comme ça que certains membres de notre famille nous traitent pour dire que nous sommes des Rwandais. Et parfois, on se sentait en insécurité à cause de ça « .

Aminata dit que les voisins venaient leur dire cela. « Avec tout ce qu’on avait entendu, ma tante voulait tout simplement dire que nous ne sommes pas les leurs et depuis ce jour-là, comme j’étais l’aînée, j’ai pris tous enfants et nous avons loué une maison « , dit-elle.

A en croire Aminata, l’atmosphère était différente quand elle allait à l’école. « En fait, mes condisciples ne savaient pas que je suis issue d’une union d’un Nande avec une Tutsi. Ils me disaient que je ressemblais fort aux Rwandais, mais ils ne s’attardaient pas trop à ça. Pour illustrer que je n’étais pas de Butembo, ils m’appelaient “MUNGOLOBU”, un nom attribué aux étrangers dans cette ville « , poursuit Aminata. 

« Après l’obtention de mon diplôme, je suis revenue à Goma, mais une femme voisine à Butembo, avait accepté de rester avec mon petit frère. Il est resté là jusqu’à finir aussi ses études. Cette femme-là est devenue en quelque sorte une deuxième famille pour nous. Parfois je peux faire le déplacement juste pour lui rendre visite « , dit Aminata avec enthousiasme, preuve que la marginalisation n’est pas une situation générale.

Et sa tante ? « En fait je peux dire que je ne suis pas en colère avec ma tante. C’est seulement qu’elle ne me parle pas souvent « , soupire-t-elle.

Encourager les unions inter-ethniques

Dans la ville de Goma, plusieurs unions entre membres de différentes communautés ethniques existent. Dufina Tabu, un homme très connu dans le milieu pour son combat pour la défense des droits humains, est un champion en la matière. Agé de 69 ans, cet homme dit être père d’au moins 24 enfants. Des enfants qu’il a eus avec des femmes de différentes ethnies. « Ma première femme, elle est Mutoka Kasongo (Kindu). Après j’avais pris une Nande (Lubero). Ensuite, une Hutu et après une tutsi. J’ai ces enfants-là avec toutes ces femmes. Mais celle avec qui je vis présentement, c’est la tutsi « , dit-il, comme pour annoncer les couleurs.

A Dufina Tabu d’argumenter :  » En fait j’ai fait ça parce que, dans toutes ces familles, je suis bien accueilli et considéré comme leur enfant. Je n’ai pas de limite, chaque famille me considère comme leur gendre, témoigne-il. D’ailleurs c’est ce qui m’avait poussé à créer mon association ASVOCO (Association de volontaires du Congo), cette association qui milite pour les droits humains. Et, parmi les droits humains figure la liberté de chacun à s’unir avec la personne qu’il aime. « 

Dufina Tabu indique qu’il a toujours été inquiet de la manière dont les familles interdisent à leurs enfants de se marier aux enfants qui ne sont pas de leur communauté, surtout la communauté Tutsi du Nord Kivu. Alors il s’était dit de faire exemple en se mariant à une femme de la communauté Tutsi, parce que celle-ci a été longtemps marginalisée.

Je vis bien avec ma femme et mes enfants. Je rends régulièrement visite à ma belle-famille et elle me rend aussi visite. Ma femme rend visite à ma famille. Oui, les commentaires négatifs ne manquent pas. Mais moi, je la défends. Et comme nous vivons bien ensemble, déjà là ça étouffe les commentaires. Au début, ça n’a pas été facile parce que ma famille voulait s’y opposer mais, voilà, jusqu’à aujourd’hui ça va.”

« Les jeunes sont victimes d’influence »

Enseignant d’université et expert en paix et développement, Ulimwengu Bernadin affirme que les jeunes sont victimes d’une influence à deux niveaux. D’abord sur le plan comportemental historique de certaines personnes et de la propagande des certains hommes politiques qui parfois profite de ce premier aspects pour vendre leur idéologie politique, parfois amplifié pour leurs intérêts. 

 » D’abord, les jeunes héritent d’un point historique des comportements entre certaines personnes venant des différentes communautés, mais qu’on essaie de généraliser abusivement comme si cette personne était un ambassadeur ou représentant officiel de sa tribu. Pourtant, ce n’est pas du tout le cas. Mais sur le point relationnel, cela pèse « .analyse-t-il. 

Ensuite, poursuit l’enseignant,  »  Sur base de généralisations abusives, les jeunes se voient être imposés, par leurs parents, de suivre les modèles de ces soit disant ambassadeurs ou représentants. Parfois ces ambassadeurs, accuse, même sans preuves, les autres communautés comme des “kabila muchafu ou kabilashetani” qui veut dire tout simplement tribu maudite. « 

Bernardin, qui travaille également pour Pole Institute, un institut interculturel dans la région des grands-lacs, cite le travail de cette organisation : « Dernièrement, nous avons fait une sensibilisation avec Pole Institute. Au cours du débat, les jeunes ont demandé que la sensibilisation se passe au niveau de parents parce que ce sont les parents qui essaient de faire des restrictions aux jeunes pour qu’ils puissent s’éviter les uns les autres. »

Quand les confessions religieuses jouent hors-jeu

Selon monsieur Ulimwengu, différentes confessions religieuses jouent parfois la carte de l’exclusion :  » Pendant qu’on invite les gens à éviter l’exclusion, la xénophobie, le tribalisme, au niveau de nos structures religieuses, il y a cette promotion indirecte du tribalisme. Imaginez-vous, vous interdisez à quelqu’un de participer à la cérémonie de mariage de son voisin parce que celui-ci n’est pas de votre confession religieuse ou vous excommuniez un parent parce qu’il a participé au mariage de sa fille ou de son garçon parce que son partenaire n’est pas de votre obédience religieuse. Ça, c’est la promotion indirecte de l’exclusion. « 

L’enseignant donne quelques exemples. « Par exemple un catholique te dire ‘même si vous faites un mariage mixte, il faut vous marier non pas chez les adventistes, mais plutôt chez les protestants’ « 

Ulimwengu porte un regard sur la lutte et la stratégie propagandiste du M23 :   » Bien souvent, il arrive que l’on dise qu’il y a des conflits inter-ethniques au Nord Kivu alors qu’il s’agit des conflits politiques, des conflits politisés que l’on essaie de faire porter à tout le monde comme s’il s’agissait d’un conflit qui a été commandité par un groupe ethnique de façon unanime. A cela, j’ajouterai que, derrière toute action politique, il y a à fortiori des actions militaires. Tout ceci dans l’objectif de faire adhérer beaucoup de monde à cette cause. Pour y arriver, ces gens-là utilisent la victimisation ? »

« Je ne dis pas qu’il n’y a pas de marginalisation de temps à temps et sous une forme ou une autre. Mais, la manière dont les politiques en parlent, la manière dont les responsables des groupes armés en parlent, ce n’est pas forcément cette lecture-là. C’est parfois une lecture objective, mais souvent ils donnent des objectifs subjectifs cherchant à faire accepter ou avaliser des causes politiques « , renchérit l’enseignant.

Tout compte fait, le chercheur de l’université catholique la Sapientia estime que c’est aux jeunes de construire leur avenir. « Ce qu’il convient de faire, c’est d’avoir un esprit clairvoyant, un esprit indépendant et un esprit critique c’est à dire ne pas réfléchir par procuration. Les jeunes ne doivent pas réfléchir en fonction du leader de la communauté ou du leader de mon parti politique, mais de réfléchir de part moi-même en essayant de démêler le vrai du faux dans ce qui est dit. Aussi de savoir détecter les stratégies de manipulation de la part de nos diverses autorités à tous les niveaux « , souligne Bernardin.

Notons que, pour plusieurs observateurs, il faut encourager les mariages inter-ethniques. Cela peut aider le Nord Kivu à une nouvelle histoire, où la diversité culturelle devient un atout précieux pour la cohésion sociale. Du côté de l’Etat congolais, et notamment le service de l’Etat civil, des efforts sont consentis dans ce sens. À la commune de Goma, l’une des deux communes que compte cette ville, l’on enregistre au moins 20 mariages par semaine. Dont plusieurs mariages interethniques. Ici, comme dans plusieurs autres bureaux de l’Etat civil où cette question d’identité ethnique est sensible, on ne demande pas l’ethnie à laque

lle appartiennent les futurs mariés. C’est la règle depuis plusieurs années.

 

Fiston MUHINDO 

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